Le retour à l’eau

Embarquement ponton Yves Parlier, sur le Bat3, pour une navigation de 40 minutes qui nous mène de la façade de pierre classée au patrimoine mondial de l’Unesco jusqu’au Bas Lormont pour une découverte du Vieux Bourg puis des parc de l’Ermitage et des Iris. Une balade, sous le signe de l’eau.

Remonter les quais sur un bateau permet de changer physiquement d’angle, de point du vue. Nous ne sommes plus sur l’une des deux rives jumelles. Nous sommes sur le fleuve et il appartient aux deux sœurs. Il est la frontière poreuse où elles se retrouvent et écrivent une histoire commune. L’eau est le personnage principal de notre flânerie, elle dessine et conditionne ce paysage que nous contemplons comme pour la première fois.

Rémi Bercovitz, paysagiste et géographe, nous invite à « donner une profondeur historique aux choses. Il y a différents temps du paysage qui est un espace, mais aussi des couches de temps superposées : le temps long de la Garonne, le temps de la façade du 18 ème et le temps plus récent de l’aménagement des quais.»

Le Port de la Lune

Devant cette façade, fleuron de l’architecture classique, il faut se remémorer le Bordeaux du milieu du 18ème siècle. La ville est alors figée derrière ses remparts. Seule la Place Royale des architectes Jacques et Jacques-Ange Gabriel, au creux de ce que l’on appelle aujourd’hui le Port de la Lune, fait honneur à son siècle, celui des Lumières. Le marquis de Tourny est subjugué par ces quais grouillant d’une activité portuaire intense et entreprend l’un des plus vastes chantiers d’urbanisme moderne, malgré l’opposition des notables de l’époque. Il choisit un tracé qui épouse la courbe du fleuve pour y faire bâtir cette succession d’immeubles élégants dissimulant les remparts et forçant l’admiration des visiteurs. Puis Bordeaux, peu à peu, néglige son fleuve à qui elle doit pourtant sa richesse, son histoire et son avenir. Il faudra attendre le projet de revalorisation des quais initié ces dernières décennies pour qu’enfin, les habitants se réapproprient les rives.

« Le projet de revalorisation s’est fait sur des temps très longs.» explique Rémi Bercovitz. « La désindustrialisation du port a commencé dans les années 80 . Il a fallu ensuite assainir les lieux. Puis le projet proprement dit est né en 2009. Ce sont des étapes invisibles dans le paysage qu’il faut décrypter pour mieux le comprendre. Les quais sont un grand espace fédérateur. Ce qui compte, c’est d’orienter les projets dans l’histoire. Il y a un paysage préalable, il faut une trame plantée qui a la capacité d’évoluer dans le temps. L’objectif principal reste l’amélioration du cadre de vie. Le miroir d’eau de Michel Corajoud fonctionne parce que le retour à l’eau, c’est récréatif et fédérateur.»

Rive Droite, les berges ont subi aussi leur métamorphose. La flânerie y est désormais à l’honneur comme la mobilité douce. Nous restons encore un peu sur la Garonne et accostons à Lormont-bas. Nous entrons dans le paysage. A pied, cette fois. Il nous faut gravir le coteau.

L’Église Saint-Martin

Première ville rencontrée par les bateaux qui descendaient la Garonne, Lormont a su préserver certains monuments de son patrimoine. Alain Lafon de l’association Les Amis du Vieux Lormont nous entrainent à l’intérieur de l’imposante église Saint-Martin. Construite en 1434 sur les bases d’un premier édifice roman détruit par la guerre de Cent Ans, elle est reconnaissable au curieux campanile qui agrémente son clocher. Les vitraux et les peintures murales ont entièrement été restaurés. Les Amis du Vieux Lormont attirent notre attention sur les richesses de l’édifice : un albâtre du XVe siècle, une fontaine du XVIIe siècle, des fonds baptismaux doubles …

L’association, Les Amis du Vieux-Lormont, existe depuis 1968 et s’est doté d’un musée en 1973. « Elle a été créée pour l’étude, la mise en valeur et la protection du patrimoine historique, archéologique et architectural de Lormont. Avec toujours la volonté d’impliquer la population lormontaise dans les projets. » insistent-ils. Ils organisent ainsi des visites guidées ouvertes à tous à la découverte des richesses de leur ville. Et notamment de son patrimoine hydraulique. Fontaines et lavoirs témoignent d’un passé où l’eau était une richesse précieuse.

Nous remontons la rue du Pimpin jusqu’au lavoir, dit de Gelot, construit par le maire du même nom, en 1853.

Le Lavoir Gelot

Des sources abondantes ont permis à la commune de posséder jusqu’à sept lavoirs pour 4 000 habitants au début du XXe siècle. Un nombre qui peut en partie être expliqué par la préoccupation hygiéniste de cette seconde moitié du 18 ème siècle. Il en reste, à ce jour, cinq. Dont, le plus ancien, le lavoir Blanchereau, rue du Général-de-Gaulle, construit à la fin du 17ème.

Le lavoir Gelot, alimenté par un forage dans le vallon du Pimpin, 110 mètres au dessus, doit sa particularité à la technique d’assemblage des pierres de sa margelle, dite en queue d’aronde, plus fréquente en menuiserie et qui a certainement dû demander un travail considérable aux artisans.

Dès leur construction, ces équipements étaient rachetés par des entrepreneurs privés au cours de ventes aux enchères. Le bail des lavoirs communaux était affermé pour trois ans. Les Amis du Vieux-Lormont décrivent l’importance de ces lieux pour la commune : «Pour laver son linge, ou celui des autres, dans un des lavoirs de la commune, il fallait payer. L’accès ne deviendra gratuit qu’au début du XXe siècle. Ces dames (car les hommes étaient interdits en ces lieux, se contentant de faire les frais…de la conversation) vont donc payer le fermier pour laver pour leur famille ou travailler à la commande pour des familles bourgeoises des environs. Les lavoirs étaient de véritables lieux de vie. Les liens s’y créaient, les réputations s’y faisaient…ou s’y défaisaient. Une mini-société féminine, surnommée ironiquement « le Parlement » va donc se créer, avec ses règles et ses coutumes. »

Ce lavoir est visible depuis la rue et fait partie intégrante des ruelles du Vieux Bourg que nous remontons en admirant les demeures du 17 et 18 ème siècles qui ont accueillis des poètes et des artistes, attirés par le charme des coteaux. Jusqu’au parc des Iris et son château où s’achève notre balade.

Le château des Iris

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Photo Ville de Lormont

Fin de la boucle. Panorama sublime sur Bordeaux et sur les méandres du fleuve. Madame Blanc de Manville ne s’y était pas trompée quand elle fit construire, en 1864, ce somptueux château, style Louis XIII. Sur le plateau en belvédère, il offre une vue imprenable sur le Port de la Lune. Bien d’autres négociants et bourgeois bordelais installèrent leurs villégiatures sur ce coteau boisé aux portes de la ville. Aujourd’hui, le château des Iris et son parc ont été rendus aux habitants et constituent une première entrée au parc de l’Ermitage. Comme une conclusion naturelle dans laquelle patrimoine, mémoires des lieux, réalisations contemporaines et perspectives futures se complèteraient. L’articulation entre histoire et avenir explorée à douce allure, au fil de l’eau.

 

Auteur : Aïcha Chapelard


Proposées par le GPV à Bordeaux métropole, Ligne (s) Droite (s) a embarqué le public de l’Eté métropolitain 2017 à la (re)découverte de la Rive Droite. En train ou tramway, à vélo ou à pied, huit balades commentées ont permis aux participants venus pour plus de la moitié de la rive gauche, d’appréhender ce territoire en pleine évolution, entre projets innovants et préservation de la qualité de vie. Huit balades et autant de regards différents.

 

 

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